photogaphies et installations à la VILLA TAMARIS
Villa Tamaris Centre d’Art
9 janvier – 7 mai 2022
"Voyage en démocratie"
Gérard RANCINAN et Caroline GAUDRIAULT
TRAGI-COMEDIE
Par Lilyane ROSE
Entrez, entrez, Mesdames et Messieurs, le spectacle va commencer ! Vous assisterez à une représentation en 30 tableaux, tumultueuse et impertinente, sans épilogue, mais pas sans queue ni tête ! Le théâtre des opérations : le studio du photographe ; les auteurs : Gérard RANCINAN pour la conception et la mise en scène, et Caroline GAUDRIAULT aux écritures et immersion sonore.
Avec eux, vous découvrirez le peuple, la société, les puissants, la comédie des hommes dans toute sa splendeur (Gérard RANCINAN). On y parlera des passions, des doutes et des désillusions, des imperfections humaines ; comme dans le théâtre élisabéthain – Le monde est un spectacle, avait dit Shakespeare – mais un monde où rien n’existe vraiment, mais où tout est exact.
Pour nous faire partager ses interrogations sur le présent, Gérard RANCINAN va utiliser les ressorts classiques de la scène où le réel côtoie le factice. Ses photographies d’un monde figé sur l’instant (il n’utilise pas le montage numérique) sont des moments de théâtre avec ses conventions : l’espace, le lieu, le décor, les personnages travestis, les récits, les farces, l’histoire, la poésie… Car nous sommes bien au spectacle, et même aux premières loges, à proximité de la scène où les acteurs, sur une estrade parfois, jouent quelque chose face à nous.
La scène, comme l’appareil photographique, est une boîte d’enregistrement, un lieu clos où les personnages posent dans leur emploi ; tantôt un espace totalement abstrait, minimaliste, hors lieu, hors temps, blanc, plat (série Small Man in the Big World - 2013), tantôt devant une toile peinte, dans la plus pure tradition du théâtre ancien (série Métamorphoses - Radeau des Illusions - Les Libertés dévoilées - 2008), ou encore, dans une vaste "pièce", vide, sans profondeur, un pur espace-lumière de studio, parsemé d’objets identifiables d’une époque passée (portrait du 16e siècle, lustres, candélabres) et de la nôtre : Canettes de Coca, masques de Mickey, téléviseurs… (série The End of Democracy - Batman Family - 2008).
Aller au théâtre, c’est surtout pour être touché par une histoire qui se déroulera devant nous, c’est elle qui nous engagera dans le jeu pour nous reconnaître dans ces individus ordinaires ou surhumains - policiers, bureaucrates, Batman…- Aller au théâtre avec G. RANCINAN, c’est en accepter les conventions, celles du théâtre élisabéthain : la farce burlesque, les travestissements, les mœurs insolites des personnages qu’il engage dans les aventures les plus folles, c’est ne pas s’étonner que Dieu, Pinocchio, Mickey, Ubu et le Roi Lear soient convoqués.
Ces récits, il va les chercher dans les mémoires populaires, dans les images médiatiques d’actualité, les jeux vidéo et aussi, bousculant le temps et l’histoire, il les récupère chez Delacroix, Géricault ou Vélasquez… (Le Radeau des Illusion, Les Libertés dévoilées). Mais, s’ils sont factices, les personnages passent la frontière du réel, et Gérard RANCINAN les fait entrer dans le domaine des créatures qui appartiennent au présent et à l’humanité : " Une vie sans utopie est irrespirable, il faut au monde un délire ", (Cioran, cité par Caroline GAUDRIAULT dans la salle des installations d’écriture). Provoquant, mais séduisant et tragique !
Comme tout bon dramaturge, il module le temps de la narration : rythmes saccadés des petites histoires courtes – images à lecture immédiate (série Small Man in the Big World – Press Power 2013), temps étiré de la fresque de 15 mètres (série The End of Democracy – 2016), temps à prendre pour parcourir le déluge de détails du Festin des Barbares – 2013, temps allongée de la vidéo The Trip – 2019 - avec les acteurs de la fresque, temps dilaté dans le moyen métrage en co-production avec Caroline GAUDRIAULT (Les Immortels), coup de théâtre, récit arrêté pour Eloge du Sacré (photographie-performance 2019-2022), temps librement choisis, en immersion, d’écoute ou de lecture de texte de personnalités menant une réflexion sur la démocratie dans les salles de conversations et installations d’écritures.
"Le vieillard : hélas Messire, il est fou ! "
"Gloucester : c’est le malheur des temps où les fous guident les aveugles ".
En nous provoquant le temps d’une exposition, Caroline GAUDRIAULT et Gérard RANCINAN posent la question de la représentation dans une société démocratique à bout de souffle. Ils nous proposent quelques pistes de réflexion pour comprendre notre époque complexe et peut-être y trouver notre place, certes de manière ironique, inquiétante, absurde, sans doute ("l’absurdité est un privilège que ne possède aucune autre créature vivante que l’homme", Hobbes, cité par C. GAUDRIAULT dans la salle aux écritures). Quelle place dans un espace mondial, virtuel, où " l’instantané remplace l’actualité " (Virilho), un monde de plus en plus standardisé, sous la dictature du marketing et du bonheur absolu obligatoire ? Et où plus personne ne retrouve ses racines ?
Comment ne pas s’étonner, alors, que le héros, prêt à affronter son destin et sa solitude devant la mort, ne ressemble pas à un Hamlet ou un Sisyphe, mais soit un surhomme préfabriqué qui fait rêver de foyers stéréotypés américains où les chiens dînent de caviar ?
Le photographe et l’auteure attirent également notre attention sur la dérive des pouvoirs : les ravages de la déraison, les savants fous, l’argent, la religion… en démocratie, le problème n’étant pas de savoir qui doit gouverner, mais comment empêcher ceux qui ont le pouvoir d’en abuser, comment être capable de résister à la manipulation, ne pas s’accrocher à nos repères qui sont ceux de nos certitudes, mais accepter de les voir s’écrouler - Le moderne est un optimisme candide qui ne s’en sortira que par l’humour et l’autodérision -.
Ils ne nous donnent pas de leçon, mais nous titillent en nous faisant entrer dans une exposition à la jubilation grinçante, dont on ne ressort pas tout à fait indemne.
Regardez par vous-même ça n’a rien à voir, peut-on lire, écrit à la va-vite, sur une poutrelle métallique, posée n’importe comment, comme par hasard, dans une salle du "Parc d’Abstraction".
Lilyane ROSE
Toutes les citations en italiques sont issues de la salle des lectures de Caroline GAUDRIAULT
Par ordre de parution :
"La liberté dévoilée" -2008-180x246 cm, tirage sur papier argentique
"Le Festin des Barbares", détail, 2013, 235 x 350 cm "
"Démocratie", 2016, 180 x 1500 cm "
Salle des lectures, de Caroline Gaudriault
"Le parc d’Abstraction", installation
A la Villa Tamaris, La Seyne sur mer, jusqu’au 7 mai 2022, https://www.villatamaris.fr/fr
entrée gratuite