ULYSSES 3 : "MAPPAMUNDI" À L’HÔTEL DES ARTS DE TOULON

ART ET CARTOGRAPHIE

« MAPPAMUNDI », à l’HÔTEL DES ARTS, jusqu’au 12/04

La carte offre des surfaces ouvertes à des manipulations multisensorielles : une carte peut s’écrire, se lire, se dérouler, se déplier, on peut la parcourir, se déplacer … L’exposition MAPPAMUNDI nous montre comment des artistes vont se réapproprier les outils de la cartographie, mettre le monde ou ses fragments à plat, et, à l’instar des cartographes, nous donner à voir cette collision de deux réalités distinctes. La cartographie et l’art ont en commun, entre autres, la pratique de l’écart par rapport à son référent.

Celui qui n’a jamais découpé, gribouillé une carte sur ses cahiers d’écolier, ou, plus jouissif encore, sur les livres de géo, qui ne s’est appliqué à la recouvrir méthodiquement de symboles abstraits - ruines, bananes plantin, hydrocarbures - ; celui ou celle qui n’a jamais colorié sans déborder du vert sur les zones tropicales, joliment étalé du mystérieux violet équivalent à 10 t.e.p., ne s’est jamais égaré dans les gigantesques cartes rigides pendues dans la classe, celui-ci ou celle-là serait privé d’un plaisir supplémentaire à parcourir les salles de l’Hôtel des Arts.

En effet, il faut avant tout se laisser aller, car il y a d’abord du ludique, du sensuel, du réjouissant dans le rapport à la cartographie chez la plupart des artistes exposés. La carte comme ready-made n’étant qu’un plan surface, un plan transfert, une machine abstraite, elle autorise tous les voyages, tous les passages, tous les égarements entre les sites et les « non-sites ». La carte est un terrain de jeu, un terrain à définir, à envahir, et dans tout jeu, il y a des règles. Et les artistes ne vont pas se priver de jouer, mais bien sûr, en bousculant ces conventions. Prenons par exemple Nelson LEIRNER et Jochen GERNER : simplement par ajout ou soustraction, il pousseront jusqu’à l’absurde la logique rationnelle des codes. Nelson LEIRNER surpeuple, aux limites de la nausée, des planisphères de la Renaissance, des vénérables mappemondes de petits héros de bandes dessinées, de Minnie, de Mickey, de Pères-Noël (sur les pôles off course !), l’autre, Jochen GERNER recouvre de noir, de bleu ou de blanc suffoquant des grandes cartes murales d’école, ne laissant apparaître que des mots-jeux, coupés, incomplets, plutôt des sons qui éclatent à la surface de la peinture, tels des bulles venant du fond, noyant par exemple la carte de l’Afrique Occidentale et Equatoriale dans une cacophonie d’onomatopées dérisoires.

Cependant, les cartes ne sont pas seulement des jeux de manipulations plastiques pour interroger les codes de la représentation ou estimer l’espace géographique. Elles peuvent devenir entre les mains de certains artistes des supports pour des cartographies élargies au temps, à la mémoire. Il y a de cela chez QIN GA, un artiste chinois dont on voit ici une partie de son œuvre de 23 photographies. Chaque épreuve (le mot est significatif), de même dimension, même pose, même cadrage, nous expose son dos sur lequel est tatouée la carte de la Chine. Elle renvoie à une étape de sa «  Longue Marche  » de 12 000 km dont sa chair garde la trace de la mise à jour. Paola Di BELLO recense aussi des moments de passage, mais sa cartographie pourrait être considérée comme un négatif de celle de QIN GA : les lieux ne sont pas ajoutés, mais au contraire effacés. Pour son installation «  La Disparition », telle une archéologue, elle a systématiquement photographié et recomposé les traces anonymes du contact des doigts des voyageurs laissés sur les plans des 350 stations du métro parisien. Les points sont devenus physiquement des « trous de mémoire ».

La mémoire n’est pas absente du travail photographique de Vik MUNIZ. Dans nos souvenirs d’écolier, les cartes géologiques des cinq continents ont forgé notre représentation du monde. Celle que Vik MUNIZ nous propose ne manquera pas de nous troubler. Les continents sont toujours identifiables, comme on nous l’a appris, mais les couleurs et les reliefs « naturels », à y regarder de près, camouflent des déchets électroniques, donnant du monde à venir une vision apocalyptique (www.worldmap. Pictures of Junk. 2008). Il est aussi question de mémoire dans l’œuvre d’Alighiero BOETTI, « Territoires occupés » 1969, qui nous interpelle sur la notion de territoire et son devenir. Ce qu’elle nous donne à voir : une broderie de laine écrue sur une trame de jute tendue sur un tambour démesuré. Nous identifions tout de suite cette tache/tâche brodée, comme la carte d’un pays dont le remplissage avancerait lentement mais inexorablement. Et comment ne pas penser à cette fameuse définition du géographe LACOSTE, reprise par Alfredo JAR pour les Magiciens de la Terre, 1989 « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre », ou encore, à l’image de Charlot le Dictateur faisant éclater son ballon-mappemonde dans sa volonté de puissance ?

Les artistes s’emparent alors des cartes qui ne sont plus des outils scientifiques mais des supports d’enjeux idéologiques. Ils revisitent les notions de lieu, de territoire, d’identité nationale. Ils réfléchissent sur le monde, cherchant à modifier la représentation mais aussi pour en élaborer d’autres. Peter FEND est de ceux-là. Artiste (il se dit d’abord architecte), critique et théoricien, il manipule les données géopolitiques et propose de nouvelles distributions des territoires et zones stratégiques. Une œuvre qui ne se veut aucunement politique, mais qui, pour marquer son éloignement de l’utopie, s’inscrit dans une pure logique administrative et technologique. L’exposition présente « La Méditerranée de l’Ouest », 2007, une sérigraphie sur tissu, une sorte de bannière faussement légère et séduisante où les couleurs des terres qui ferment le bassin suivent non plus celles de leur drapeau, mais des critères écologiques et topographiques (des sols, du sel, des eaux) et qui conduiraient à en redéfinir la cohérence. On ne peut manquer de faire un rapprochement avec l’œuvre de Mona HATOUM, présentée à la Chapelle des Pénitents Noirs à Aubagne « Projection », 2006. Pour cette pièce, en coton et abaca blanc sur blanc, elle s’appuie sur une autre représentation du monde créée par Arno PETERS en 1974 où il redéfinit la place des pays de l’hémisphère nord. « Nous imaginons notre monde comme il nous arrange de le voir ».

Enfin, quoi de plus métaphorique, de plus poétique que « Upotia » 2013, une installation commandée à Nicolas DESPLATS pour cette exposition : six pots de peinture (dont on ne connaît pas les teintes) « Photo-révélatrice à l’eau », contenant chacun « une carte topographique liquide à peindre » - Comme un retour vers nos voyages immobiles de notre enfance.

jusqu’au 12 avril, entrée gratuite
voir site de l’Hôtel des ARTS : www.hdatoulon.fr

Texte de Lilyane ROSE

Affiche : Starker : "Territoire actuel", 1995, Courtesy Hôtel des Arts

Photographies libres de droit :
Nelson Leiner, "MAPA 2", 2009, Courtesy Galerie Gabrielle Maubrie
Vik Muniz, "www.worldmap. Pictures of Junk". 2008, courtesy Galerie Xippas

Posté le 10 avril 2013