Les renaissances de Gilli

Les biographies artistiques recèlent une complexité qui interdit tout recoupement mécanique avec l’état civil. Ainsi, Gilli, né Jean-Claude Gilli le 15 septembre 1938, rue Arson à Nice, a créé lui-même les conditions d’une seconde naissance.

« C’est à Nice, le 31 décembre 1962, à 11 heures du matin, sur l’une des plages servant de « bordille » publique à l’embouchure du Var que je suis né pour la seconde fois. J’avais 24 ans. J’étais donc plus que majeur et censé bien savoir ce que je faisais. Une jeune et jolie personne, du même âge que moi, ma femme, m’accompagnait. Elle avait pour mission de photographier l’ensemble des opérations. Roulées et ficelées sur le toit de ma petite 4 CV, nous avions amené toutes les toiles que j’avais peintes jusqu’à ce jour. C’était ce qu’on appelle des peintures de chevalet, certaines étant même des peintures faites sur « le motif ». Je ne supportais plus ni de les voir, ni d’en être l’auteur. Ah, ce fut un bel autodafé ! Quand mes oeuvres ne furent plus qu’un petit tas de cendres, je me sentis un autre. Je venais de naître à une nouvelle vie. Vierge. Pur. Sans passé ». [1]

Dans sa vie antérieure, Gilli avait suivi les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice, s’était lié d’amitié avec Martial Raysse, mené une vie de fête, de rencontres, de découvertes aussi...
En 1957, Albert Chubac lui révèle ainsi l’art moderne : Miro, Picasso, Klee...
« Du coup, je faisais miens les mots liberté d’expression, et entrais en rébellion contre les professeurs de l’Ecole qui s’obstinaient à ne rien vouloir nous enseigner d’autre que la tradition ». [2]
Première exposition en 1958, avec des oeuvres inspirées de Nicolas de Staël et des petites sculptures assemblées.

Dès 1961, il réalise ses premiers assemblages de bois, représentant des pin-up découpées, des petits objets en plastique qui se métamorphosent dès 1963 en ex-voto, autels dérisoires dédiés à des héros profanes.

En 1967, il entame les découpages à la scie de contre-plaqués ou de plexiglas disposés sur plusieurs plans et peints en vert, rose, jaune et bleu, sa couleur de prédilection, le « bleu Gilli », des tableaux découpés, qui s’incarnent ensuite presque naturellement dans la série des « Coulées ».
« Pour moi, le cadre a toujours été une prison (...) ». [3]
« A ce propos, si vous me demandez si je suis peintre ou sculpteur, ma réponse devrait vous rassurer : accrochée au mur mon œuvre est un tableau, posée sur le sol c’est une sculpture ». [4]

De la couleur franche et déterminée, il va passer brusquement à l’exploitation de la non couleur en utilisant des matières plastiques, de la couleur froide totalement transparente, une « œuvre invisible ». La découverte du travail de Louise Nevelson le prive « d’une partie de son vocabulaire », « j’ai décidé d’arrêter net ». Réaction significative qui exprime son goût irrépressible pour la liberté, sa volonté de participer aux courants contradictoires de l’art contemporain, tout en préservant sa capacité de jugement, de refus d’emprunter des chemins balisés par d’autres, de penser concrètement à chaque étape, le renouveau de sa pratique vécue comme une renaissance personnelle.
« Une des principales difficultés de ma vie a toujours été, parmi les mille idées qui me viennent quotidiennement à l’esprit, de ne pas me tromper dans le choix final. Il y a l’idée à suivre et toutes celles qu’il faut avoir la force de rejeter ». (6)
Ainsi peut-on comprendre son flirt avec le Pop-Art, le nouveau réalisme en terme d’indépendance et d’autonomie.
Le seul mouvement auquel on peut et on doit le rattacher, étant l’Ecole de Nice, qui, au delà des aspects générationnels et géographiques ne peut se définir que par la diversité et la radicalité des approches artistiques de ses fondateurs.
« Au début, nous étions un groupe de quelques amis : Yves Klein, Martial Raysse, Annan, Ben, Malaval, Bernar Venet, Chubac et moi. Nous étions inconnus et nous ne pensions pas pouvoir vivre un jour de notre peinture. Nous avions tous en commun le refus de l’art traditionnel. Aux Arts Décoratifs, j’ai appris à aimer et, aussi, à haïr l’art. L’enseignement m’a rebuté : on nous imposait l’art traditionnel sans nous montrer l’art contemporain. Alors, nous nous sommes retrouvés ici, par hasard. Ensuite, le groupe a explosé. C’est alors que nous avions presque tous quitté Nice, que la critique a commencé à parler d’Ecole de Nice ». [5]

Il découvre en 1969 le potentiel formel et aléatoire des empreintes humides des escargots qui deviennent, comme sujet et comme objet, la matière de prédilection de l’artiste pour de longues années.

En 1985, ce seront les premières sculptures en acier boulonné, travail qui deviendra monumental, et dont il poursuivra la déclinaison, ce jusqu’à aujourd’hui.

L’essentiel de ce parcours artistique qui se développe sur plus de 40 ans (de 1959 à 2003) sera présent à la Villa Tamaris. Une rétrospective s’apparente à une biographie artistique en actes. Chez Gilli, le principe de vie et la volonté artistique se conjuguent en permanence, chaque étape devenant la manifestation d’une invitation à la plus grande liberté possible dans le temps et l’espace, d’un renouveau formel - « le support n’a aucune importance » aime-t-il à répéter - , d’une résurrection.

« Tout est possible à condition d’avoir une idée, et que cette idée soit bonne ». [6]

[1Connaître la sculpture de Claude Gilli - Ed. François Rolin - 1990 - p.5

[2Ibidem p. 9

[3Le roman de l’Ecole de Nice Edouard Valdman - La différence 1991 - P .110

[4Connaître la sculpture de Claude Gilli O.C p. 44

[5Le roman de l’Ecole de Nice O.C. p. 109

[6Ibidem p.112

Posté le 30 juin 2003