On ne se méfie jamais assez de la liberté : elle donne de mauvaises habitudes. Depuis longtemps, Juliette Gréco traque les splendeurs, les vertiges, les hardiesses.

Alors, si on s’attend à un disque des années 50, à une carte de visite de grande dame de la chanson française, à un mirage de Saint-Germain-des-Prés, on sera surpris.

Gréco a posé ses pas ailleurs, elle a inventé de nouveaux gestes pour les mots anciens, des mots neufs pour les sentiments de toujours. Elle a entremêlé l’inattendu, le familier, le fantasque, la confidence, le conte, le doux, le vif – et cela s’appelle Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez.
Que pouvait-elle nous dire d’autre, cette amoureuse de l’amour ? Nos mères, nos pères l’admiraient déjà et elle nous assène ce commandement, cette jeune femme de soixante-dix et quelques années : Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez. Car elle sait de quoi elle parle, elle qui a tant chanté et dit l’amour, tellement vécu la liberté d’aimer et d’être aimée. Il faut savoir aimer pour chanter ces vers de Gérard Manset : « Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez / Sans faire de bruit, sans faire de vagues ». Aimer largement, avec joie et sans crainte, et c’est à quoi ressemble ce disque : folle audace et douce tendresse, fringale d’enfant et sagesse d’aïeule, vertu du coeur et violente liberté...

Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez est imprévisible, même si le timbre de Gréco est si familier – une voix sensuelle et distante, suprêmement élégante et toujours indocile. Surprendre sans jamais rien renier, c’est toute l’histoire de Gréco, à la fois fidèle et à chaque jour neuve, une histoire qui a commencé une nuit de juin 1949, avec trois chansons composées pour elle par Joseph Kosma, sur des textes choisis par Jean-Paul Sartre - une longue histoire, peut-être la plus prestigieuse de la chanson française. Mais elle vous dira de ne pas prendre garde à l’histoire, que tout cela n’est rien, juste l’amour et la liberté. Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez.

Juliette Gréco ne saura jamais disparaître.