Femme de jazz

Sylvia Versini et son Octet, compositeur, arrangeuse et chef d’orchestre

Qui n’a pas rêvé d’être chef d’orchestre de ses propres compositions et mener huit musiciens chevronnés à la baguette ? Sylvia Versini l’a fait ! Petite sœur de Carla Bley, elle s’est lancée vendredi 9 avril pour un premier concert dans l’intimité du petit Théâtre de la Porte d’Italie à Toulon, qui sied si bien au jazz.

Tout en noir, une mèche blanche griffant seulement sa frange, svelte et souriante, elle s’est campée devant son groupe le S.V. OCTET, laissant son profil au public d’une salle bien remplie. Avec douceur et fermeté, elle attaque à pas de loup un premier morceau, Dessert, en guise de mise en bouche rythmée façon shabada.

Quand elle conduit, Sylvia ressemble à un oiseau qui prend son vol. Ce sera d’ailleurs un autre titre - très autobiographique - Goëland ou Experience, où la musique caresse, vibre, passe du New Orleans au mélodieux, s’échappe parfois vers le free dans une douce dissonance. Ses gestes sont amples, larges, généreux, elle danse presque sur scène, en fusion avec sa musique et ses interprètes. Ses bras forment des arabesques musicales. Ecartés, elle les soulève comme une offrande, les paumes grandes ouvertes, les genoux fléchis, pour marquer la montée en puissance des instruments, la plupart de ses compositions jouant avec des climats contrastés, des crescendo et diminuendo, des clairs-obscurs. Elle mime les volutes et les arrondis des saxophones, et chante les partitions. Sur la pointe des pieds, bras dressés vers le ciel, elle papillonne des doigts pour épouser les vibratos et bondit en avant, boxant l’air de son poing serré sur l’explosion des cuivres.

Energie, maître mot
Sylvia couve les cinq excellents trombones, saxophones et trompette qui lui jettent parfois un regard surtout perceptible aux changements de climat, mais semblent imprégnés de ses compositions et libres de jouer. Elle ferme alors les yeux en hochant la tête en rythme, confiante et sûre de ses musiciens, et intime soudain d’un claquement de doigt une rupture, une pause, un souffle, une nouvelle direction ou un diminuendo qu’elle accompagne d’un long mouvement de brasse comme si elle repoussait doucement du sable.

Ce jazz féminin interprété par huit hommes n’a rien d’intello, consensuel ou froid, malgré le petit côté sage « orchestre et partitions » et les incontournables applaudissements qui ponctuent chaque solo (et auxquels je ne me ferai pas !). On se lance des sourires complices, chacun éprouve visiblement un plaisir à jouer qui se sent, s’écoute, se voit et bien sûr se transmet au public. Pourtant, la formation joue ensemble pour la première fois et le premier CD démonstration de S.V. OCTET réalisé rapidement avec d’autres musiciens parisiens ne rivalise aucunement avec la chaleur de ce concert live. Il faut en enregistrer un deuxième !
La batterie est ronde, souple, soutenue, rassurante. Dans Broken Heart, la contrebasse et le piano se font complices et sensuels, et laissent légèrement grisés... Le climat de spleen donne un son feutré, magnifié par la bonne acoustique de la salle et les lourds rideaux de velours rouge. La contrebasse devient violoncelle, le piano coule, on se croirait chez ECM.
En rappel, le morceau préféré de Sylvia, Babytot ou l’enfantement, un hommage à la mère, rythme enlevé, swing et meringué, tout en contraste. Les notes fusent, donnent l’impression d’ubiquité (propre à la femme ?), d’énergie, de vie, de volonté et d’optimisme, maîtres mots de la compositrice dans sa vie personnelle et artistique. Plus timide lorsqu’elle s’adresse au public et présente Doute, un musicien la taquine, lui demandant si elle en est bien sûre...

Sans aucun doute, souhaitons à S.V. OCTET de faire l’introduction du festival de jazz de Fort Napoléon cet été. Si les organisateurs attendaient ce premier concert pour s’en persuader, c’est chose faite !

Posté le 29 avril 2004