DU ROMANTISME (ou PAS) ..., par Lilyane Rose

Marie-Françoise Lequoy à Barjols et à Fox-Amphoux, avec "c’est bien parti"

Il se passe toujours quelque chose près de chez vous dans le Haut Var : un ensemble d’artistes répondant au dynamique et prometteur nom de c’est bien parti a concocté une exposition évolutive dans le temps et dans l’espace [1]et [2]. Le thème de ce "Summer Show 2014" est le PAYSAGE. Dix artistes [3] ont répondu à la question : y-a-t-il (encore) une place pour le paysage dans l’art d’aujourd’hui (en se rappelant que le "paysage" en tant que sujet a mis des siècles à s’imposer) - de quel(s) paysage(s) s’agit-il ? Et, question primordiale, qu’entend-on par "paysage" ? Chacun d’entre eux apporte une réponse singulière selon son concept et sa pratique artistique : la peinture, la terre, la photographie, la cire, le dessin, le tissu… Ce qui a retenu particulièrement mon attention est une réponse plus contemporaine pour la technique et plus interpellante pour le concept.

Marie-Françoise LEQUOY, elle, interroge l’art du paysage par le truchement de la vidéo et en convoquant… Caspar David Friedrich (1774-1840), peintre célèbre du romantisme allemand. En juillet et août, deux lieux ont accueilli sa production : la Tannerie des Perles à Barjols (PAYSAGE) avec un diaporama de 6mn "Caspar Friedrich aujourd’hui ? Un romantisme à l’épreuve du temps", et la Chapelle de Fox-Amphoux (LA LIGNE) [4], avec un extrait de l’installation "Géo-logique" et une vidéo "carrés induits, déduits, détruits".

Dans un premier temps, on pourrait penser qu’il n’y a pas de lien entre les deux expositions : d’une part, un diaporama d’une cinquantaine de photographies couleurs dont certaines, sans ambiguïté font directement référence à des tableaux connus de Caspar Friedrich, de l’autre, un travail en noir et blanc, au graphisme affirmé. Vous avez dit "Paysage" – mais où est la nature dans l’exposition de Fox-Amphoux - ?... car c’est bien ce qu’on attend généralement d’un "paysage", qui comme le définit le Robert, est la partie d’un pays que la nature présente à un observateur – un tableau représentant la nature -, et où les figures (homme, animaux, constructions) ne sont qu’accessoires.

Un indice peut-être ? Cherchez la petite pierre carrée striée de blanc, un morceau de vraie nature. Pour les romantiques, on le sait, la nature est un miroir de l’âme, des sentiments intimes ; mais, pour autant, ils ne perdent pas de vue le réel. On a tous en mémoire au moins un tableau de Caspar Friedrich qui nous a frappés par sa réalité topographique, sa recherche de l’exactitude de la représentation des sols et des arbres, son naturalisme. Un de ses aphorismes nous le confirme : "observe la forme exactement, la plus petite comme la plus grande, et ne distingue pas le petit du grand, mais l’important du mesquin". Le connu et le familier sont bien là, avec ce petit galet. Cependant, et c’est toute la raison d’être d’un artiste : chercher (et nous montrer) ce qui est caché dans la structure apparente des choses, toujours approfondir le mystère (Francis Bacon). Aussi, MFL nous annonce-t-elle que cet objet isolé signifie autre chose que sa simple apparence : il est le point de départ d’une recherche.

La stabilité des apparences n’est qu’une illusion. MFL étudie depuis une trentaine d’année ces réalités cachées au travers d’expériences photographiques et infographiques. A partir d’un détail, un morceau de nature (paysage), ce galet traversé par une ligne claire, l’artiste explore la notion d’espace dans les arts plastiques. Le travail sur ordinateur va permettre aux lignes de se rapprocher, de se toucher, diverger, créant ainsi un espace solide ou désagrégé, (trop) vide ou (trop) plein. Sonder, disséquer les formes complexes de la nature, c’est ce que fera Mondrian – avec toutes les étapes que l’on connaît, de la peinture figurative de paysages aux abstractions pures-. MFL, aussi, traque l’espace, elle le plie, le comprime, l’allonge, le tord… les formes grossies, rapprochées à l’extrême révèlent de nouveaux aspects. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a dans ces explorations aléatoires, la recherche d’un ordre intérieur (encore Mondrian…), d’une unité mystérieuse qui composerait la réalité (Caspar Friedrich…), ordre et chaos (et pourquoi pas… le mathématicien Abraham Moles, pour notre époque : "Des terrains de montagnes, des nuages, des côtes, des volutes de fumée, des vaisseaux sanguins, les craquèlements de la boue, la surface de l’écorce des arbres, la formation minérale et la ramification d’un arbre (…) sont quelques-unes des nombreuses structures relevant de la fractalisation") [5].

L’ordre caché des choses, le vide, l’infini, la relation empathique de l’homme avec la nature sont les raisons d’être de la peinture romantique. Pour son dernier travail "Caspar Friedrich aujourd’hui ?", Marie-Françoise Lequoy se met dans les pas du peintre pour nous offrir de nouvelles pistes de réflexion, avec des moyens plastiques contemporains et une vision actuelle. La question existentielle du Moi devant l’Univers (en l’occurrence, le nôtre) est reposée sous forme d’images photographiques de paysages montées en diaporama sur une musique de Grieg.

La continuité avec la peinture de Caspar Friedrich n’est pas seulement dans la reprise, presque parodique des poses ou des sujets de paysages, mais aussi dans l’analyse plastique. Méprisant la virtuosité et l’aspect sensuel des effets, il pratiquait un métier mince, totalement soumis à la représentation, insistant sur le contenu. Les photographies de MFL sont lisses, nettes ; le dépouillement fait partie de leur force. Il n’y a pas de hiérarchie dans ses images : rien n’est indigne d’être représenté (usines, mobilier d’aires d’autoroutes, rayons de supermarché, rond-point végétalisé) ; anti-pittoresque, le paysage est ce qu’il représente. Nature et artifice.

Rien ne se passe dans les tableaux de Caspar Friedrich – comme dans les photographies de MFL –. Etonnement et inquiétude : le monde extérieur est perçu comme une multitude d’objets et d’éléments séparés qui nous parlent directement, sans symbolisme.

Le dispositif en diaporama renforce l’aspect fragmentaire et instable de la vision de "cette partie d’un pays que la nature présente à un observateur".
Mais comme dans les tableaux de Caspar Friedrich, l’homme est-il encore en posture d’empathie avec cette nature où il semble n’y avoir nulle part où se sentir chez soi ?

Marie-Françoise Lequoy nous offre une œuvre en forme d’inventaire qui nous inciterait à ajouter à l’infini notre propre définition du paysage, notre propre vision de "regardeur". Chaque image paraît close sur elle-même, et comme le petit galet, prend la forme de synecdoque – la partie pour le tout –. Vous avez le Tout ? Le GRAND TOUT ? Mais alors…

L. R.

(1) – À Barjols :"The Summer Show : "PAYSAGE" Volet 1, commissariat artmandat - info@artmandat.com - www.artmandat.com

(2) et (4) - A Fox-Amphoux : "LA LIGNE", commissariat Muraour et Julner

(3) – Christiane Ainsley, Thierry Azam, Madeleine Doré, Tristan Favre, John Francis, Angelica Julner, Marie-Françoise Lequoy, Michel Muraour, Françoise Rod, Katharina Schärer.

(5) – Abraham Moles, cité par LIGEIA n° 12/13 – Déc. 1992
Fractal (Larousse) : objet mathématique dont la création ou la forme ne trouve ses règles que dans l’irrégularité ou la fragmentation. Exemple dans la nature : flocons de neige.

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Posté le 20 octobre 2014