FIGURE IMPOSEE / FIGURE(S) - LIBRE(S), par Lilyane ROSE
VIALLAT ENCORE ! Mais oui, vous savez bien, cette espèce d’artiste "Matissé" de Pollock et Rauschenberg ; celui qui peint sur de vieilles bâches, et même des parasols ; et quand je dis "peint"… Peint quoi au fait, des haricots, des éponges ? Et, tenez-vous bien, "ça" depuis 1966 ! Vous le reconnaitrez au premier coup d’œil, on voit ses œuvres dans des intérieurs chics et branchés, il est tellement déco.
Encore Viallat jusqu’au 15 Mars 2015, à la Villa Tamaris.
Et pourtant, on ne s’ennuie jamais dans une expo Viallat, ce qui stupéfie et époustoufle toujours, ce sont d’abord la variété, l’audace, les risques du choix des supports, des supports récupérés, détournés qui gardent encore quelque chose de la vie. La toile de bâche est devenue un grand classique, mais les tapis chamarrés, les voilages orientaux, les tissus dorés, brodés, pailletés, estampés façon crocodile, les imprimés impossibles d’une nappe rustique, d’une toile "camouflage", les motifs saturés d’une accumulation de visages style "pop*art" ? Et quand il peint sagement, c’est sur l’intérieur maculé de stalagmites des couvercles de ses pots d’acrylique !
On est toujours aussi surpris par la "forme" de l’œuvre, des toiles plutôt que des "tableaux", – quoique – : draps housses écrasés, chutes abstraites de feutre d’emballage ou assemblages improbables de fragments de lambrequins, toiles de tente et autres tissus soyeux. Une forme qui affirme sa matérialité. Ces toiles sans châssis sont prosaïquement fixées au mur par des punaises. Pendantes voire pendouillantes, elles remettent en question la notion de tableau. " Pas de sacralisation de l’art – postulat : une pièce égale une autre pièce, égale une autre pièce - " nous dit-il.
Supprimer la convention du cadre en peinture ou du socle en sculpture a été une préoccupation récurrente chez les artistes contemporains ; c’est aussi celle de Claude Viallat.
Mais le "cadre" résiste, et il y a toujours un moment où il revient au galop (un besoin de repère sans doute ?) : ici un bord frangé, là des anneaux de rideau sur ruban fronceur (en bas, bien sûr !), là un ourlet épais, des restes d’une suite de pompons. Et même dans un clin d’œil provocateur, sous la forme d’un unique angle, une équerre franche, rescapée d’une chute de découpe dans un tissu tricoté. Des "cadres" aussi dans ces objets spontanés, peu savants, "ethniques", sortes de pièges-à-rêves, raquettes, arcs ou boomerangs. Ils sont fabriqués à partir de cercles de barriques ou de bois trouvés, sous la tension d’un système de nœuds.
Pour encadrer quoi au juste ? Traditionnellement la surface du tableau est une fenêtre ouverte sur le monde, ce qui en fait un objet fixe où le spectateur est convié à une vision unique. Rien de figé ou de définitif chez Claude Viallat, ses supports qui se plient ou se déroulent en font déjà des œuvres mobiles. Dès ses débuts, il a travaillé avec des filets qu’il installait sur la plage ; ses œuvres en ont toujours gardé les propriétés plastiques de retenue et de relâchement. Comment représenter un filet ? Où s’arrêtent ses contours, quelles formes présente-t-il, faut-il le figurer quand sa "surface" est expansée ou comprimée, quand son dessin est géométrique ou brouillé et chaotique ? Représente-t-on en fait l’espace ou la matière, le plein ou le vide ? Comment en faire le tour, comment repérer le dehors et le dedans, l’envers de l’endroit ? Dans la vidéo qui accompagne l’exposition, Claude Viallat emploie le mot "outrepasser" en évoquant, dans son enfance, à la fois les espaces camarguais sans limites et les jeux tauromachiques.
Encadrer quoi, quand on a affaire à une œuvre qui ne sera complète que dans la mesure où on se déplacera devant elle et à l’intérieur d’elle, où on la contournera, une œuvre insaisissable qu’il faudrait considérer plutôt comme un lieu de passage, une traversée ? Plus besoin de cadre alors, pour cette toile du rez-de-chaussée, profondément rouge, entre sol et plafond, fascinante comme ces retables d’églises aux versos peints, comme un va-et-vient entre le monde profane et le monde divin, entre le paradis et l’enfer. La toile qui, depuis toujours et avant tout, est le lieu de passage de la peinture qui traverse les fils, imprègne au-delà de la matière, troublant la perception de l’endroit et de l’envers. Viallat ne nous donne plus à voir des tableaux dans leur simple frontalité, mais des volumes ; l’œuvre n’est plus désormais une image fixe, mais elle obéit à la logique répétitive de LA forme qui, telle une page d’écriture, remplit la surface, quoiqu’en soient le support et la forme, pour en faire une sorte de trame récurrente qui conditionne notre vision.
Mais au-delà de l’aspect ludique de la plupart des pièces exposées (les "trophées" barbares, les choix kitchs et dérisoires des supports, les montages précaires…), au-delà de l’affirmation de l’importance de "la peau des choses" et du bonheur de peindre, certaines pièces ont attiré mon attention et modifié un certain regard convenu sur le travail de Claude Viallat. Ce qui m’a surprise cette fois-ci, c’est la qualité du vide ; pas celui, habituel, de la surface peinte, saturée de formes et contre-formes, mais le rien, le trou. Le trou comme ready-made du centre du parasol, mais aussi la béance volontaire, plus tragique, issue du relâchement des bandes de toile, jusqu’à celle, extrême, de cette œuvre "minimaliste", créée par un angle qui encadrerait le rien, mais qui prend ici de la consistance et devient matière.
Un autre aspect inattendu, le sentiment du sacré, du spirituel, non seulement avec l’œuvre rouge (une descente de croix ?) ou le demi-cercle rappelant les vêtements sacerdotaux de Matisse, mais surtout devant cette œuvre étrange, faite d’un tissu de pacotille doré au centre duquel se répand, s’évanouit, la fameuse forme, d’une indéfinissable couleur. Comment ne pas évoquer le Suaire de Turin ou le voile de Véronique en regardant disparaître, s’effacer ou se révéler cette empreinte, selon les supports, dans les autres œuvres rassemblées dans la même pièce. Du spirituel aussi bien sûr dans ces vitraux commandés à l’artiste pour l’église d’Aigues Mortes, où la couleur matière chère à l’artiste devient couleur lumière.
Le parcours de Claude Viallat est fait de reprises et de retours en arrière assumés. En 1977 il déclarait déjà : " Mon travail, je ne le conçois pas comme progressant dans le temps, linéairement, il se développe en spirale, à partir d’un noyau, et différents problèmes se retrouvent donc à des moments différents du temps et de l’espace "(1). Cette exposition des œuvres récentes de l’artiste nous laisse ébahi devant tant de vitalité et d’audace. Claude Viallat est un homme libre pour qui la notion de limites n’a de sens que pour les "outrepasser".
ENCORE Monsieur VIALLAT.
Lilyane ROSE
(1) Cité dans Art Press Février 1990.
Exposition à ne manquer sous aucun prétexte !
voir aussi l’annonce parue lors de l’exposition en 2008
http://www.yaquoi.com/CLAUDE-VIALLAT-A-TOULON-PEINTURES
et à Marseille : http://www.yaquoi.com/CLAUDE-VIALLAT-Marseille-et-apres
Jusqu’au 15 mars 2015
Ouvert tous les jours de 14h00 à 18h30 sauf le lundi et jours fériés
Entrée gratuite, catalogue avec vidéo
Villa Tamaris Centre d’Art
Avenue de la Grande Maison
83500 LA SEYNE SUR MER
Tél : 04 94 06 84 00
http://www.villatamaris.fr/index2.php?lien=infos
crédit photographique, courtesy Villa Tamaris, Aigues Mortes, détails, vernissage
mise en page photographies : Marie-Françoise Lequoy-Poiré