EXPOSITION AINSLEY, FRANCIS, GUIMONT, SCHÄRER
ATTRACTIONS
Nichée au coeur du Var, et même un peu plus au nord que l’implacable géographie voudrait nous faire croire, la petite ville de Barjols est pour moi d’abord un gros bourg, avec tout l’imaginaire que peut évoquer cette constatation totalement subjective. Pour dire vrai – et c’est du passé décomposé - j’ai arpenté ces ruelles plus ou moins biscornues et en pente, j’ai assisté plusieurs fois à la truculente fête de la Saint Marcel le troisième dimanche de janvier avec ses coups de tromblons déchirant le froid, j’ai pénétré le noir de sa nuit de mai avec volupté, etc. mais j’y ai découvert finalement que très récemment – bien que l’aura d’Artmandat était parvenue jusqu’à nous grâce entre autres au militantisme culturel de Jany Laborey et Marie-France Lequoy-Poiré - une activité florissante autour et pour l’art contemporain, et par dessus tout un public de fidèles frisant parfois l’inconscience de s’attaquer aux tourniquets qui mènent aux étoiles. Aussi, la perspective d’établir un lien entre le fort Napoléon et la friche industrielle de la tannerie "Les Perles" ne pouvait qu’être un don du ciel. Enfin, l’origine québécoise des artistes (Sylvie GUIMONT, Christiane AINSLEY, John FRANCIS - Katharina SCHÄRER étant suisse) acheva de convaincre, avec nos lointains cousins de la France d’avant, la famille était réunie à nouveau.
Sylvie GUIMONT ou la peinture objet pourrait-on dire si nous n’avions pas peur de plagier ce qui a déjà été (bien) écrit sur cet oeuvre. En effet, l’artiste découpe, assemble, colle et tente des expériences que l’on devine infinies. De son univers transpire un rythme dû aux pans de couleurs qui s’expriment sur du plastique, du papier, du tissu...des morceaux d’histoires bien singulières. Cette peinture qui fait "peau neuve" n’est pas à l’abri des accidents qui interviennent et/ou interfèrent dans le processus de création. L’oeuvre se décèle peu à peu, et on apprend à détailler les matériaux, les couleurs associées, la plasticité d’un toucher de regard… même s’il est fortement recommandé d’y poser les doigts pour mieux comprendre dans l’intimité d’une salle d’exposition, presque un appel à la désobéissance. On saisit ainsi les différentes couches, les superpositions super bien posées, la colle qui réunit les pans de souvenirs que ces lambeaux de récup’ évoquent. Ces témoignages rappellent comment les artistes écrivent tour à tour le grand livre de la peinture. Alors oui, celle-ci est un objet, oui la peinture est une énième peau en guise d’oripeau qui révèle l’impudeur et protège à la fois.
Christiane AINSLEY est la physicienne du lot, sa réflexion sur la matière incite au respect et à étiqueter son travail de matiérisme. Il y a certes le résultat - l’oeuvre - mais il s’agit avant tout de visiter l’histoire de la pensée qui y conduit. Avec elle, on aborde la matière dans ses dimensions variées. Philosophiquement, on comprend le discernement qu’opère l’artiste entre la réalité matérielle et l’esprit. Physiquement, on entre dans le mystère de la Création avec majuscule, la substance et ses propriétés dont on couche les formules sur du papier blanc, à l’image de la peintre qui attaque le début d’une toile. Biologiquement, les amas de peinture qu’elle dépose sur le sol pourraient très bien prendre vie, cela ne serait pas plus étonnant que cela. Puis, quitte à jouer avec les mots, il y a aussi la matière première dont elle use et abuse avec semble-t-il un réel plaisir, risquant des associations de couleurs qu’un fabricant britannique de confiseries n’oserait peut-être pas, sans doute un retour de mémoire de vieilles rivalités. Mémoire des maux, également. Parce que vivre fait parfois mal, il y a dans le travail de Christiane Ainsley une vraie part jubilatoire, une envie de vivre communicante, comme un fou rire non maîtrisé. Table des matières, ses oeuvres ne craignent pas d’être montrées à l’horizontale, un autre défi à la concordance du temps et de l’ordre des choses sans qui le chaos perdrait de son panache. À table, pourrait-on crier tant certaines de ses oeuvres ne demandent qu’à être goûtées. Puis, il y a la notion de paysage à laquelle l’artiste se confronte depuis quelques temps. Avec les mêmes principes, elle décortique le concept pour ensuite mieux bâtir son propos : le geste combiné à la matière réinvente le paysage, les couches pourtant grossières évoquent la perfection de la nature, "l’élément" peinture traitant avec ce que l’on sait de la lumière depuis 1905 : sa vitesse dans le vide a la même valeur dans tous les référentiels inertiels. En clair, ici et maintenant ou avec des envies d’ailleurs, cette peinture parait universelle.
Katharina SCHÄRER commente ainsi son travail : "aujourd’hui, ma démarche picturale se présente entre peinture et sculpture murale ou dans une dimension spatiale. J’utilise des plaques alvéolaires polycarbonate dans lesquelles je laisse couler les couleurs sur chaque face intérieure. Un recto verso ou pour créer un jeu de rythme entre couleurs chaudes et froides, claires et sombres, ou encore entre l’opacité et la transparence". À l’image d’un corps ressuscité, Katharina Schärer donne vie à l’oeuvre en l’irriguant d’un sang émancipé du monopole du rouge. Comme d’autres illustres, elle participe au discours du peintre sans pinceau ni toile en se libérant du cadre classique du tableau. Il y a d’ailleurs quelque chose de musical dans sa production. K.S. compose sa mélodie et déroule de longues partitions cadencées de couleurs et de matières sous les yeux du spectateur/regardeur. Les techniques mixtes usitées autorisent les connexions et/ou dialogues entre les divers éléments composants l’oeuvre et son unité, à l’inverse d’une gravure par exemple qui est entre autres, un transport de l’unique au multiple. L’artiste recourt principalement aux matériaux de l’industrie, une valse à deux temps : K.S. récupère et K.S. recycle. Plus qu’une remise en cause de la peinture, K.S. avec son langage si particulier en interroge les frontières, perturbant sans doute les équilibres précaires du champ de la critique. Besoin de construire des structures, un cadre qui n’est pas et ne se veut pas cadre mais qui semble rassurer cette nomade de la verticalité : nous nous rallions à sa propre description de paysage graphique. Enfin il y a le geste, pour sa beauté : K.S. ne s’encombre pas de la durabilité de l’oeuvre, d’autres s’en chargeront.
Quant à l’énigme John FRANCIS, on aborde là un vrai mystère mystérieux comme dirait une douce connaissance. Déjà, on comprend que l’homme ne s’encombre pas du jeu social et quitte une réunion sans raison apparente, sans dire où il va, comme si le futur de ses actions l’ôtait du réel pour le précipiter dans l’inter-monde. L’expression "suivre son idée" revêt alors tout son sens… Mon premier contact avec l’oeuvre est insolite. C’est à Barjols dans l’antre de l’ancienne tannerie où ses joyeux lurons ont posé leur nid. Des carreaux de faïence blancs, des morceaux de sanitaires (bidet, bac à douche, etc.) violentés par l’artiste posés à même la terre battue, dans une obscurité savamment organisée attendent les regards. Et puis ce froid qui semble peser depuis des siècles, emprisonnant dans ses invisibles bras vaporeux l’histoire de cette friche industrielle, comme si la bombe avait pété depuis peu et ne restaient du coup que des traces banales de la présence humaine. Et pourquoi ce blanc ? Des carreaux, sans tomber dans l’outrecuidance des azulejos, il en existe de toutes les couleurs, avec motifs même à l’orée de la nausée. On croit entendre la voix de l’artiste : "le carreau sera blanc ou ne sera pas". Pour notre culture, la blancheur renvoie à la pureté, l’hygiène, la perfection… les sanitaires à ce que l’on cache chez soi, à une sorte d’intimité pas jolie jolie. John Francis ne s’arrête pas en chemin et coule un liquide noir pour souligner les brisures et cassures, la fracture volant ainsi la vedette. Du reste, ses "tableaux" de carreaux blancs justement coupés contrastent avec leur rendu esthétique, car même s’il n’y a pas là volonté de réaliser quelque chose de "beau", les oeuvres perturbent, opposant pauvreté des matériaux et richesse de l’émotion. Enfin, l’étonnement se poursuit avec ces sculptures inédites fabriquées avec des composants de trains électriques, un autre voyage de la Terre à la Lune.
Le soir du vernissage
Jusqu’au 29 Juin, à la Galerie La Tête d’Obsidienne, Fort Napoléon, chemin Marc Sangnier, La Seyne-sur-mer, 04 94 30 42 80
Texte de Christophe VILA, Cabo de Gata, 11 janvier 2013
Crédit photographique et mise en page de Marie-Françoise Lequoy-Poiré