Un peintre militant

Le peintre Michel Dufresne
Le peintre Michel Dufresne, dans son atelier du Revest, travaillant
sur une toile sur le thème du jazz pour le 12 e Bol d’Art du Lavandou.
Photo : Raphaël Dupouy

Il est à contre-jour devant la fenêtre étroite de son atelier. Ses mains s’agitent à raconter sa déjà longue vie d’artiste. Une combinaison blanche constellée de couleurs somnole dans une douce lumière. C’est le costume du peintre. Lorsque Michel Dufresne l’enfile, il sait
qu’il s’engage alors dans un “grand combat pictural”. Comme il le dit lui-même. Une bataille avec la toile sans cesse recommencée. Presque quotidiennement.

“J’aurais jamais dû faire ce que j’ai fait !” déclare-t-il d’emblée alors qu’on l’interroge sur son parcours. “Je suis venu avec ma mère, veuve de guerre, au Pont-du-Las. Elle se demandait pourquoi son petit dessinait tout le temps.” Attentive, malgré sa condition modeste, à la
vocation de son fils unique, elle obtint alors une dérogation pour que le jeune Michel entre aux Beaux-Arts de Toulon à l’âge de 10 ans ! “J’ai ainsi bénéficié d’une expérience culturelle très tôt avec les grands de seize ans qui me faisaient découvrir des tas de choses. Cette passion
ne m’a jamais quitté. Pendant douze ans, j’ai même arrêté tout travail extérieur pour ne me consacrer qu’à la peinture. En 78, j’ai repris l’enseignement aux Beaux-Arts de La Seyne. Jusqu’en 2004. Ma seule ambition était de garder du temps pour peindre, voir des expos,
écouter de la musique. Je suis un grand voyageur culturel. Bien que vivant à la campagne - ou parce que - j’aime aussi les grandes villes. C’est là qu’il se passe des choses. J’ai eu notamment la chance d’avoir des grands-parents à Paris. Très cultivés, ils m’emmenaient
visiter les musées et les galeries lorsque je séjournais chez eux à l’occasion des vacances.” Évoquant les Beaux-Arts de Toulon, Dufresne se souvient alors d’un maître important : Henri Pertus, grand admirateur de Braque, avec qui il s’initie à onze ans à la gravure. Mais
les rencontres intéressantes se font aussi à l’extérieur. Dans les fêtes du “Neptunia”, un bar sur le port où résonnaient les premiers juke-box. Où raisonnaient les copains aussi : Chouchana, Tilman, Le Boul’ch, Laubreton, Louage, “le groupe des 50”... Tous avides d’une
autre société. Tendance Mai 68.

Passé le cap de la quarantaine, Michel Dufresne s’inscrit en licence d’art à la fac d’Aix. Là, autres rencontres capitales : celles de Jean Arrouye, sémiologue de l’image qui l’aide à appréhender le vaste champ de la recherche artistique, et de Jean Hemery, à la fois historien de l’art et plasticien qui lui apporte un autre regard sur l’art contemporain. Mais
curieux et insatiable, ce “combattant” veut participer activement au développement de l’art. "Je pensais à mon histoire. On ne devient quelqu’un que si on a de l’aide. Ma propre bataille artistique fut si difficile." Pour cela, il milite à partir des années 70 aux côtés de
Gérard Estragon de l’ex-MJC de Toulon. C’est l’époque des "jeudis culturels" réunissant régulièrement des gens de droite et de gauche à la Bibliothèque de la Renaissance. Jusqu’à l’élection de Mitterrand en 81 et les querelles qui s’ensuivirent. Si le chargé de la propagande avoue alors avoir baissé les bras, il n’en continue pas moins à oeuvrer pour les
artistes. Il crée l’association Elstir - référence à un peintre proustien - en 85 et finance de ses propres deniers des accrochages dans son studio du boulevard Cunéo à Toulon...

Aujourd’hui, Elstir - comme le “Rendez-vous des jeunes plasticiens”- est devenue une institution. Après plus de 40 ans de pratique et 20 ans de militantisme culturel, c’est en Corse où il possède une maison à Vallecalle (au dessus de Saint-Florent) que Dufresne perpétue son action pionnière en exposant des artistes qu’il découvre. Merci à lui de venir parrainer notre Bol d’Art et de soutenir notre action, elle aussi militante.

Posté le 5 février 2007