AU FAIT, C’EST QUOI UN FRAC ?

Mais au fait, c’est quoi un Frac ?

Entretien avec Pascal NEVEUX, directeur du FRAC Provence Alpes Côte d’Azur

“Le frac ? - connais pas”, ou bien : “Le FRAC ? - c’est une citadelle, c’est du fric-frac, c’est le Grand Décideur, le grand Orientateur de l’Art contemporain Français, c’est une des tentacules de l’administration “... Que de fois n’avons-nous pas entendu ces poncifs ! Pour aller au-delà des clichés et de la méconnaissance, nous commençons une série d’enquêtes auprès de chaque institution référente en matière d’Arts plastiques (Directions ou acteurs culturels auprès du Ministère, de la Région, du Département, ou des municipalités, Centres d’art, musées, fondations, acteurs privés, collectionneurs...)

Dans quel but ? Tout simplement d’informer, avec un souci de transparence, nos lecteurs internautes. En tout, des milliers de personnes intéressées, voire passionnées par la création artistique et qui connaissent sans doute assez mal le fonctionnement du monde institutionnel de l’art, celui-ci ne faisant jamais la une (ni la der) des journaux non spécialisés.

Nous avons décidé de commencer par le Directeur du Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de notre région, Pascal Neveux, nouvellement arrivé d’Alsace avec, comme bagage, son expérience de directeur du Frac Alsace.

Les Frac sont des associations Loi de 1901, créées en 1982 par le ministère de la Culture, établies sur la base d’un partenariat Etat/Région, subventionnées par moitié par l’un et l’autre. Leur mission statutaire comporte trois volets interdépendants :

  • acquérir des œuvres témoignant de toutes les formes de la création contemporaine, régionale, nationale et internationale, en vue de la constitution d’une collection (les achats sont inaliénables),
  • en assurer la diffusion, contribuer ainsi à la promotion et au soutien de la création artistique (prêts des œuvres, expositions hors murs...),
  • sensibiliser et former les publics les plus divers à la création contemporaine.

Un Frac, c’est avant tout une équipe, composée d’un Directeur, choisi lors d’un jury sur la base d’un projet artistique et culturel, un Comité technique composé de personnalités reconnues qui élabore des propositions d’acquisitions présentées par le directeur du FRAC en Conseil d’Administration pour approbation.

En ce qui concerne notre Frac Paca, vous trouverez tous les renseignements sur http://www.fracpaca.org, son site internet, une vraie mine de renseignements.

ENTRETIEN AVEC PASCAL NEVEUX, DIRECTEUR DU FRAC PACA

Pascal Neveux dans les locaux du Frac

Q - Pouvez-vous nous faire un bref historique des Frac ?

A l’origine, l’objectif du ministère de la Culture était de créer des structures en région pour sortir de la scène parisienne centralisée et rendre l’art contemporain accessible en Province.
Cette volonté d’aménagement culturel du territoire s’inscrivait dans le cadre, purement politique à la base, des lois sur la décentralisation (lois Defferre, 1981-1982).
C’est ainsi que sont nés les « Centres d’art contemporain » et les « Fonds régionaux d’art contemporain », dits FRAC. Donc un Frac par région. Vingt cinq ans après, il y a un écart considérable entre les Frac de 1983 et ceux d’aujourd’hui : l’ensemble des collections comprend 20 000 œuvres de 5 000 artistes. De fait les missions ont sensiblement évolué. C’est vrai qu’il y a eu une mission de constitution de la collection… Aujourd’hui, on est sur des problématiques plus complexes parce que les collections existent (entre 500 et 3000 œuvres pour chaque Frac), ce qui nécessite une autre logistique, et puis, surtout, on en est arrivé aujourd’hui à des structures qui sont dotées d’espaces d’exposition, de salles pédagogiques, de résidences d’artistes, donc des structures plus lourdes à gérer qui correspondent à ce qu’on appelle les frac de deuxième génération .

Le catalogue de l’opération du dixième anniversaire des Frac, en 1992, intitulée « Collections en mouvement », témoignait justement de cette dynamique de proximité et de diffusion, alors que, pour leur vingtième anniversaire (2002), « Trésor Public » mettait en avant la qualité des collections, leur caractère international et leur valeur patrimoniale incontestable après plus de vingt ans de politique d’acquisition internationale et prospective.

Q - LesFrac sont-ils donc devenus des musées, dans le sens où leurs collections sont devenues très importantes ?

C’est vrai qu’on a maintenant des structures qui s’apparentent à la fois aux musées de par la conservation et la maintenance des œuvres, à la fois aux centres d’art par leur politique d’exposition temporaire et de production et qui, en même temps, répondent à leur mission première de diffusion et de sensibilisation. Ce sont des structures complexes, atypiques, originales sur le plan international, de par leur triple mission (diffusion, sensibilisation et acquisition) .

Q Comment définiriez-vous la collection actuelle du Frac Paca ?

La collection comprend aujourd’hui 760 pièces acquises auprès de 350 artistes environ.
Elle n’est pas structurée autour d’une thématique forte mais rend compte de l’ensemble des attitudes artistiques des années 80 à nos jours avec un ensemble assez conséquent d’œuvres majeures, souvent d’artistes étrangers.
Elle est constituée autour de plusieurs sous-ensembles couvrant l’ensemble des media (peinture, photo, installation, vidéo) avec un fonds vidéo important et un ensemble de pièces qui questionnent la notion de projet et de processus créatif.

Q Combien de personnes l’équipe du Frac comprend-elle ? Quel est votre budget ?

Neuf personnes, dont deux sont sur la régie, deux sur le travail de médiation, une sur la documentation, une sur la communication, une secrétaire, une administratrice et un directeur.
Notre budget global est de 1100 000 euros. Le budget d’acquisition est en moyenne de 120 000 à 150 000 euros par an, ce qui est un budget moyen pour une région de cette importance en terme de politique d’acquisition.

Q - Selon vous, quelle est la particularité du Frac Paca, est-il semblable aux autres Frac ?
Quelle sera votre orientation dans les années à venir ?

Il n’y a pas un Frac qui ressemble à un autre (…) Au-delà des spécificités des bâtiments, très contemporains pour certains Fracs, anciens pour d’autres, les spécificités sont dues au caractère différent de chaque région, le travail mené en Alsace n’est pas du tout de même nature que celui mené en PACA : la différence est liée au caractère plus ou moins urbanisé ou rural, l’existence ou pas d’un réseau de structures d’art contemporain, leur plus ou moins grande densité. Un exemple : en Alsace, nous étions sur une dynamique d’aménagement culturel du territoire et dans ce même cadre, en région Paca, ce travail peut être mené sur des départements où l’offre culturelle demeure modeste et on va s’y attacher comme au Musée départemental de Gap qui est pour nous un espace satellite du Frac particulièrement important., mais l’ensemble de la région est quand même fortement densifié en terme de structures et il s’agit par conséquent plus d’organiser la diffusion de la collection que d’une dynamique d’aménagement culturel du territoire.

En ce qui concerne ma nouvelle fonction en Paca, j’arrive dans un Frac qui a toujours très bien fonctionné en matière de diffusion de la collection : en 2006, nous avions 120 dossiers de partenariat en place ! mais en revanche, on s’aperçoit que cette diffusion est orchestrée sur des lieux qui sont des partenaires depuis de nombreuses années et qu’il n’y a pas forcément eu cette dynamique d’ouverture vers des départements un peu défavorisés et des structures un peu isolées. C’est un travail auquel je vais m’attacher : restructurer la diffusion, constituer des lieux satellites de type associatif, des centres d’art dans lesquels on puisse présenter les œuvres de la collection et surtout organiser des espaces pédagogiques.

Nous avons de la même façon redéfini la programmation du Frac en invitant des artistes qui ne sont pas présents dans la collection à exposer Nous allons ainsi nourrir la collection par de nouvelles acquisitions en lien direct avec la programmation et une forte volonté de s’ouvrir sur le bassin méditerranéen et de marquer la collection fortement dans cette orientation.

Q Le travail du Frac dans le champ scolaire a fait ses preuves, mais quel est-il en ce qui concerne le grand public ?

Jusqu’à aujourd’hui, on a beaucoup insisté sur le travail de sensibilisation à juste titre à destination des publics scolaires. Mais il s’avère aujourd’hui très important de mieux organiser la sensibilisation des publics adultes.
Nous mettons par ailleurs en place des projets, des activités qui se construisent aussi bien avec les milieux associatifs, les hôpitaux, les entreprises. La question de l’élargissement des publics concerne tous les Frac aujourd’hui.

Q Toulon n’apparaît pas dans le rapport d’activité, pourquoi ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Il y a plusieurs partenariats avec des établissements scolaires mais le chantier est ouvert et riche en perspectives de développement.
On ne peut pas tout faire et couvrir avec exhaustivité tous les territoires : sur 120 partenariats que nous animons, il est clair que si on ne se réorganise pas, on aura toujours les mêmes partenaires. Nous n’avons plus les moyens aujourd’hui de mener une politique prospective, nous sommes paradoxalement victimes de notre succès et les moyens humains nous font défaut pour développer encore plus de partenariats.

(Pascal Neveux nous fait alors comprendre que c’est aux artistes et aux relais locaux de générer une dynamique pour s’inscrire dans un partenariat avec le Frac, et au Frac d’y répondre. C’est donc aux Toulonnais de se prendre en main. C’est là que l’Association pour les Musées de Toulon se propose d’être partenaire privilégié du Frac, en instaurant dès 2007 ou 2008 un programme de sensibilisation à l’Art contemporain auquel il participerait par ses interventions, visites, présentations d’artistes, le tout en rapport avec ses collections.)

(…) Ce partenariat doit s’appuyer sur un véritable échange, il n’est plus question de prêter les œuvres, faire un vernissage sans donner de suivi, ce qui signifie que si on élabore un projet en partenariat avec une structure ou un artiste, on le construit vraiment à tous les niveaux : il doit y avoir au préalable un travail de préparation et d’accompagnement (…).

Q Comment se fait le choix des œuvres, quel degré d’indépendance par rapport à la DRAC* et la Région ? Avez-vous une mission de découverte envers les jeunes artistes de la Région ? Comment un artiste entre-t-il en contact avec vous ?

Le côté prospectif de visites d’ateliers en région ou d’expositions, oui, c’est une des missions des Frac, ce qui ne signifie pas que l’on va se polariser uniquement sur les acquisitions d’artistes qui vivent en région. Mais il est vrai que nous sommes des relais et que l’on se doit d’être à l’écoute de ce qui se fait ici. L’équipe du frac bouge beaucoup, voit beaucoup d’expos, fait des visites d’ateliers, il y a aussi beaucoup d’artistes qui viennent ici, beaucoup de rendez-vous et de découvertes. Mais ceci est un travail quotidien souvent méconnu du grand public et tout à fait passionnant.

Les artistes qui souhaitent nous rencontrer peuvent prendre rendez-vous avec moi-même et mon équipe par téléphone pour une visite d’atelier, l’étude d’un projet, la préparation de propositions d’acquisitions.

Sur la question de la lisibilité, c’est à dire qui décide, qui fait quoi, qui constitue les comités techniques, il y a, je reconnais, une grande méconnaissance. C’est la raison pour laquelle vous trouverez sur le site du Frac la présentation du Comité Technique et son mode de fonctionnement.
J’ai mis en place un rythme annuel de deux comités techniques par an sur 48 heures. La première journée sera consacrée aux visites d’atelier et d’exposition avec les membres du comité, pour que les artistes sachent à qui ils ont affaire au Frac, qui instruit et qui propose des dossiers. La deuxième journée sera consacrée à l’étude des propositions.
Quand un directeur est nommé, il arrive avec son projet artistique et culturel (orientations, programmes) qu’il balise sur trois ans, (convention triennale), puis il constitue son comité technique en proposant au Conseil d’Administration des noms de personnalités compétentes. Personne ne lui est imposé. Tous les documents comme les comptes-rendus de CA sont accessibles sur demande .

Il y a, sur la région, une vraie volonté d’ouvrir la dynamique du Frac sur le bassin méditerranéen, et d’avoir une dynamique de prospective, de recherche d’acquisitions, de visites d’ateliers, aussi bien en Afrique du Nord, en Egypte, en Espagne, en Italie. Donc le Comité technique comprend des personnalités espagnoles, italiennes, etc. qui pourront amener des propositions, ces propositions devront être ensuite validées officiellement au CA. Ce comité n’est donc pas autonome, il ne décide pas tout seul de la politique d’achat. Certaines propositions d’achat sont liées à la programmation d’exposition et j’ai très concrètement mis en place un principe qui est que, quand un artiste fait une exposition, on lui fait automatiquement une proposition d’achat, afin de constituer une mémoire de la programmation du Frac.

Par ailleurs, il y a tous les dossiers, toutes les visites d’atelier, toute l’actualité que nous pouvons découvrir en région qui peuvent, à un moment donné, générer une proposition d’achat, et c’est moi qui en rends compte au comité technique. Les autres membres du comité sont sur des propositions venant de l’étranger ou d’autres régions. Je joue pour ma part le rôle de relais pour les artistes de la région, d’où la part de subjectivité du directeur, qui en fonction de sa personnalité fera sa programmation.

Le Conseil d’Administration, quant à lui, est constitué de membres de droit (dont ceux désignés par l’Etat et le Conseil régional) et de personnalités qualifiées ; il peut y avoir aussi des directeurs de structures, d’écoles d’art, de centres d’art, des élus,

Q Le monde privé peut-il accéder au CA ?

Cela arrive. Il y a aujourd’hui une évolution vers l’ouverture : certains présidents de Frac sont issus de la société civile ; en Paca, une artiste fait partie du CA **.

Q Quelle est l’implication des artistes dans le champ de la transmission, quels sont vos objectifs à ce sujet ?

C’est la spécificité du Frac Paca d’avoir cette mission complémentaire toute récente, une mission d’ouverture, opposée à un repliement exclusif sur la collection. Un exemple : nous travaillons aujourd’hui avec Joachim Mogarra, un artiste que nous avons invité pour faire une exposition pendant l’été 2007 : on organise avec lui des périodes de résidence de 3 jours pendant lesquelles il rencontre des établissement scolaires, des lycéens, des IUFM, il fait une présentation de son travail, il est directement impliqué dans ce travail de transmission. On construit le projet sur deux volets : de novembre à mai, il y a un volet relationnel de présence de l’artiste avec différents types de publics, puis il y le travail de préparation de l’exposition. Beaucoup d’artistes de la collection sont sollicités aujourd’hui non seulement pour animer des ateliers avec des enfants mais également pour expliquer ce qu’est le travail d’un artiste au delà des clichés.

Q Que pensez-vous de cette étiquette d’élitiste qui déposséderait le grand public de toute possibilité d’accès ?

Oui, si être élitiste veut dire qu’il faut faire un effort quand on vient découvrir une exposition d’art contemporain. Oui, il faut faire un effort, on sort de la consommation, on doit entrer dans l’action et faire preuve d’une volonté de se remettre en cause, d’être curieux.

Q Qu’en est-il, selon vous, du manque de critiques d’art et de philosophes en France, particulièrement en région ?

C’est vrai qu’on n’est pas gâtés à ce niveau-là, même à Paris, ce sont souvent les mêmes critiques. Il y a une vraie nécessité de recréer rapidement une véritable scène de la critique d’art en France. Ceux qui s’intéressent à ce qui se passe dans les Centres d’art ou les Frac et autres lieux de province ne sont vraiment pas nombreux et on est souvent dans le simple compte-rendu d’exposition. C’est peut-être dû au fait qu’au niveau des universités, peu d’étudiants en art choisissent de faire un travail d’écriture et de critique sur la création contemporaine.

Q En conclusion, que pensez-vous de ce résumé fait dans un débat organisé à la Fiac : « Il faut rétablir la confiance entre les publics et l’artiste contemporain, il faut décentraliser les Frac, leur permettre d’acheter par amour de l’art, former le public afin d’affiner son discernement, gage de qualité. Après avoir soutenu l’offre, il faut maintenant soutenir la demande et la formation des publics et des collectionneurs » ?

C’est un peu affligeant, on est sur des espèces de schémas de pensée où les personnes qui ne connaissent rien du travail sur le terrain se positionnent et ont l’impression qu’il suffit de claquer des doigts pour que tout arrive…
Pour conclure, je dirais qu’il faut donner au public l’envie de visiter les lieux en lui faisant prendre conscience qu’il faut fournir un minimum d’effort d’ouverture pour accéder aux œuvres. C’est vrai que ce n’est pas évident quand on est adulte de se remettre en question lors d’une visite d’exposition !

Nous avons bien entendu le message de Pascal Neveux, retroussons nos manches, affûtons notre intelligence et notre sensibilité et nous aurons enfin accès à l’art contemporain…

Marie-Françoise Lequoy-Poiré et
Jany Laborey, artiste plasticienne, Présidente de la Frap
Mars 2007

Notes de la Rédaction

*Direction Régionale des Affaires Culturelles, émanation du ministère de la Culture, sise à Aix pour notre région
**Sur treize membres, c’est peu. Souhaitons qu’une vraie ouverture sur le monde non institutionnel puisse intervenir rapidement, si on veut sortir des critiques d’élitisme et d’opacité qui sont encore souvent faites aux Frac


Posté le 30 janvier 2008